La norme et le dogme
Comment se comporter comme un organisme vivant ?
Et surtout, qu’est-ce que ça veut dire, être vivant ?
Je n’ai pas de réponse. Enfin si, j’ai ma réponse. Ce qui, à l’heure où tout le monde a un podcast, revient globalement à dire que personne n’a la réponse.
La tisane de la vie
Si je continue à suivre le programme binaire qu’on m’a téléchargé après la naissance (option : école-boulot-retraite à 97 ans et six mois), je vais finir comme une cellule bien propre dans le grand tableau Excel de la civilisation. Fusionnée. Formatée. En Arial 11.
Un programme implanté comme une tisane somnifère aux fleurs de conformité, par infusion, sorte d’intraveineuse douce mais tenace, notre perfusion culturelle quotidienne, jadis servie tiède en tube cathodique, désormais shootée en stories de dopamine compressée.
Résultat : je deviens un produit semi-fini, coincé entre maturation et décomposition, héritier d’un dogme rance qui flotte dans le bain historique, social et économique de nos sociétés- une flaque qui sent un peu le vieux manuel de sociologie mouillé, avec une touche de grenouille morte.
Le jardin d’hiver existentiel
J’existe donc je suis ? Non. Je fonctionne donc j’expire. Je suis une compote périmée dans un logiciel non mis à jour, nourri à la norme, au tabou, aux « ça se fait pas », et aux « non mais enfin on ne met pas une jupe quand on a un foie » ou «on ne met pas de talons quand on a déjà vu la mer en novembre ».
Et la nature dans tout ça ? Exploitée. Jamais consultée. Stagiaire invisible qu’on oublie en réunion Zoom. Pas étonnant qu’elle se venge à coups de canicules passives-agressives et d’orages borderline bipolaires. La société l’a transformée en open space, sorte de jardin d’hiver existentiel et l’open space est devenu un open burn-out.
Exister autrement : la voie douce du non-choix assumé
Deux options s’offraient à moi.
Le chemin bruyant : m’engager, militer, brandir un mégaphone pour hurler « marcher droit, c’est pour les robots ! », et défiler, pancarte en main, avec des slogans cousus main par des vers de terre woke.
J’y ai pensé, mais en matière de militantisme, j’ai l’énergie d’une éolienne dans une cave sans fenêtres.
Donc j’ai choisi le chemin silencieux.
Ce chemin où on ne change pas le monde, mais on change de chaussettes et, soyons fous, on troque parfois les baskets pour des talons.
Un pas de côté, pas une révolution. Une marche tranquille entre l’ADN et l’intuition, comme une infusion qui aurait rêvé d’être un whisky tourbé. Pas toujours logique. Mais vivant.
Révélation textile : le coton n’a pas de genre
Et puis un jour, ça m’a frappé. Pas un éclair mystique, non. Une sensation.
J’ai senti , plus que décidé que le genre des vêtements c’était un délire collectif. Une hallucination sociale à base de “les jupes c’est pour les filles”, comme si le tissu avait un chromosome. Alors j’ai choisi de suivre la matière. Jai pensé « tiens, cette robe est confortable » au lieu de « tiens, cette robe menace l’ordre mondial ». Du coup j’ai continué.
J’ai choisi un haut fin parce qu’il effleure les épaules comme un murmure, pas parce que je voulais déclencher une révolte en viscose.
J’ai mis une jupe pour sa fluidité, pour cette façon qu’elle a d’accompagner le mouvement au lieu de le contraindre — pas pour faire vaciller les piliers du virilisme textile.
J’ai glissé mes jambes dans des collants pour cette caresse un peu électrique, cette sensation fine, tendue, presque vivante — pas pour électrocuter les gardiens du bon goût binaire.
J’ai marché en talons parce qu’ils redessinent la silhouette, qu’ils sculptent le port de tête, exigent une conscience du corps, une allure choisie — pas pour défier l’ordre moral en hauteur.
J’ai choisi la dentelle pour sa précision, son raffinement, cette façon d’être fragile et sophistiquée à la fois — pas pour afficher une déclaration politique en filigrane.
J’ai porté du nylon pour son invisible présence, sa légèreté quasi mystique — pas pour flouter les frontières de l’identité avec des fibres indisciplinées.
Et ce body ? Ce body me serre juste assez pour me rappeler que j’ai un corps, qu’il est là, qu’il est à moi. Pas une arme, pas un drapeau. Une seconde peau. Point.
Et si tout ça vous dérange, ai-je pensé, ce n’est peut-être pas moi qui remets les codes en question — ce sont juste vos étiquettes qui grattent.
Mais là, j’ai vu : l’esthétique a un genre. Le plaisir tactile aussi. Même mes mollets ont été genrés par la société. Et sans m’en rendre compte, j’étais en train de trahir la Team Pantalon. Paix à leur âme.
En face, la société me regarde, comme une mamie regarde un piercing au téton : avec un mélange d’effroi, de gêne, et de jugement en robe de chambre.
Enfin… pas toujours. Parce que bizarrement, ce sont parfois ces mêmes mamies, ces anciens, qu’on imagine coincés dans leurs principes naphtalinés, ces grands-mères qu’on croyait scotchées à l’époque du tricot patriarcal qui m’ont lancé les regards les plus bienveillants. Des sourires sincères, un compliment, un “vous êtes élégant”, des “ça vous va très bien” murmurés avec plus de courage que tous les “alliés” théoriques en Doc Martens.
À l’inverse, les plus jeunes, génération connectée, dégenrée, woke sous influence TikTok… eux, ce sont souvent les plus rieurs, les plus moqueurs, prompts à rire bêtement, à filmer en douce, à pointer du doigt comme s’ils jouaient encore à colin-maillard émotionnel. Ils ricanent, persuadés d’être discrets alors qu’ils suintent l’hostilité à plein volume. Comme si plus on leur donnait accès à tout, moins ils savaient voir au-delà du cadre.
Genrer les fleurs et autres passions humaines
Mais comment s’étonner quand on vit dans une société qui a donné un genre aux fleurs ou aux plantes par exemple avant même de les comprendre. Les fleurs. Ces entités photosynthétiques qui vivent leur meilleure vie au soleil, qui discutent entre elles, qui peuvent entendre pour certaines, s’adapter, qui font des trucs bizarres avec les abeilles – sans jamais se lever le matin en paniquant sur leur taux de masculinité. Elles s’en tamponnent royalement de savoir si elles sont « féminines » ou « trop viriles pour un pot ».
Mais nous, humains, on doit comprendre. Donc on étiquette. On classe. On genre. On range dans des boîtes IKEA qu’on ne sait plus refermer, avec des étiquettes qui, elles, restent bien collées, indélébiles, même après mille découvertes. Le genre reste figé, même quand on apprend qu’il n’a jamais été aussi fluide.
Cross-dressing ? Je ne croise rien, merci bien
Ah, cette fameuse étiquette, j’ai lu ça quelque part. On colle ce terme sur ceux qui, aiment mélanger les genres vestimentaires, comme si cela faisait d’eux des cas pathologiques, des déviants sexuels, ou des gens perdus dans leur identité. Sérieusement, depuis quand s’habiller comme on veut devient une maladie ? C’est peut-être le cas de certains d’entre eux, ceux qui se cachent, ceux qui veulent être autre chose que eux-mêmes, je ne sais pas.
Moi, je n’ai rien contre le cross-dressing, tant que ça ne fait de mal à personne, je m’en fiche complètement, mais il me semble totalement absurde de stigmatiser une simple pratique vestimentaire comme une aberration psychologique ou une perversion. Pour ma part ce n’est pas parce que je porte une robe, un talon ou un body que j’ai des envies secrètes ou que je me remets en question. Et non, ce n’est pas une question de sexualité. Et si ça l’est, c’est encore moins une question. Parce qu’à bien y réfléchir, qu’est-ce qui n’est pas sexuel dans cette société ? On sexualise tout : la hiérarchie au travail, les vêtements dits “masculins”, les rapports de force, de complicité, l’esthétique corporelle, les coiffures, les poses, les mini-jupes, les grosses voitures, les mots, les silences, les pubs de parfum, même les fruits dans les spots publicitaires. Alors si on commence à s’inquiéter pour une robe, un collant ou une touche de dentelle, c’est peut-être pas le tissu qu’il faut psychanalyser.
Franchement, si on commence à interdire ce qui ne rentre pas dans un cadre strictement défini, on fait un sacré retour en arrière. Est-ce qu’on veut vraiment revenir en arrière, et priver les femmes de leur droit de s’affirmer à travers leurs habits, de revendiquer la possession de leur corps ? Est-ce qu’on veut vraiment en arriver à dire : « Désolé, les jupes, c’est terminé. Vous comprenez, votre corps ne vous appartient plus. Il appartient désormais aux sciences molles et aux fantasmes durs — à la psychologie, à la sociologie, et surtout à la fragile virilité de ceux qui confondent robe légère et déclaration de guerre. »
Et pendant qu’on y est, précision pour les esprits inquiets : oui, j’ai une barbe. Courte. Nette. Suffisamment virile pour qu’on ne me confonde pas avec une fée des bois, pas assez pour jouer dans une pub de whisky écossais. Je suis un homme. Hétéro. Exclusivement. Même si, parfois, en pleine engueulade avec ma compagne, je me dis que changer de camp serait peut-être plus paisible. Mais non : zéro attirance pour les hommes, et beaucoup trop pour les femmes. Voilà, c’est comme ça. Faites avec.
Je ne veux pas être une femme. Je ne prétends pas connaître leur condition. La mienne me suffit : c’est déjà un escape game sans sortie de secours. Et pourtant, on vit dans une société patriarcale, pensée par des hommes pour des hommes… et même là, franchement, c’est pas une partie de plaisir tous les jours.
Je compatis aux problématiques des questions de genre, de sexualités variées. Je trouve ça légitime, naturel, nécessaire. Mais ce n’est pas mon combat. Et c’est aussi ça, la tolérance : savoir rester à sa place tout en respectant les autres.
Fétichisme : le mot fourre-tout
Le fétichisme. Ce mot qu’on dégaine comme une insulte à peine maquillée. Un mot fourre-tout qui sonne comme une condamnation. Mais sérieusement, j’ai fait du sport toute ma vie, et j’en ai vu des fétichistes : ceux des baskets, des clubs de golf, des casques de vélo. Obsédés du matos. Pas pour des raisons sexuelles. Juste parce que le marketing est bon. Je ne parle même pas des fans de voitures, de montres, ou de cravates. La cravate – ce chef-d’œuvre de l’absurde qu’on transforme en totem de respectabilité, en drapeau d’élégance civilisée. Une ficelle qu’on enroule autour de son propre cou, comme si on préparait son étiquetage avant expédition. On la noue devant le miroir avec la gravité d’un moine, on ajuste son col comme on verrouille une cage dorée. Elle descend droit comme un trait de discipline le long du torse, et dit sans parler : « Je suis prêt. Je m’efface dans le moule. » Elle pend là, ridicule et solennelle, comme une laisse de bureau qu’on apporte soi-même au patron en disant : « Tiens, j’ai fait le nœud tout seul ! Tu peux me promener où tu veux maintenant, je suis corporate jusqu’à la glotte. »
Alors pourquoi la dentelle devrait-elle être psychiatrisée ?
Quand un céramiste frissonne en modelant l’argile, c’est un art. Quand je ressens une sensation tactile en touchant de la soie, c’est un trouble ?
Nylon, soie, coton : cherchez l’erreur de genre.
Ce n’est pas un coming out
Non. Ce n’est même pas ça.
Parce que d’où devrais-je sortir, en fait, quand c’est le reste du monde qui a décidé de rentrer ?
Rien ne sert de sortir quand on n’a jamais été enfermé.
C’est une leçon. Sur le désapprentissage.
On nous dit de désapprendre, mais… franchement, qui va vraiment désapprendre quelque chose quand, en réalité, on a du mal à savoir ce qu'on sait déjà ? Le corps humain, ce grand mystère. On croit le connaître – on a tous ces "vérités absolues" qu’on ressort quand ça nous arrange. Les fascias, par exemple. Ce tissu mystérieux qui nous relie de la tête aux orteils, est un champ de recherche encore assez neuf à l’échelle de la science sur le corps humain. Mais déjà, les « experts » sont là, partout : sur YouTube, dans les podcasts, sur Instagram, prêts à t’inventer LA méthode, LE chemin, LA vérité (bien sûr il y en a aussi quelques-uns qui, réellement, bossent sur le sujet avec sérieux, patience et une bonne dose de passion). Et ça, c’est exactement ce qu’on retrouve dans le monde de l’entraînement. Force, cardio, étirements, comportements biomécaniques… Chaque mois, on sort une nouvelle règle du chapeau, avec des études faites sur des souris de laboratoire, évidemment, parce que rien de tel qu’un rongeur qui fait du squat pour savoir comment toi, tu devrais t’entraîner. Pas étonnant que chaque "découverte" soit vite transformée en dogme qu'on te balance à la figure comme une pancarte : "C’est ça, ou rien !" Et toi, tu te retrouves à courir comme un hamster, à soulever des poids en suivant le dernier article de "l’expert" de l’heure. Pourquoi ? Parce que c’est la vérité scientifique. Mais qui a décidé qu'on devait tout appliquer, sans questionner, juste parce qu’un mec a sorti un graphique avec des flèches et des pourcentages ?
Le problème, c’est qu’on oublie de préciser un petit détail : à chaque fois qu’on te dit que quelque chose est une vérité, c’est que la précédente est probablement en train de se faire plier sous la table. Ce qu’on croyait être la base hier, est devenu un vieux reste de gâteau aujourd’hui. Et demain, ça sera peut-être carrément la recette d’un mauvais dessert qu’on a abandonnée. Et pendant ce temps, on te parle de "méthodes révolutionnaires". La vérité ? Tout change tout le temps. Pas de surprises. Il suffit de regarder dans les tiroirs de l’histoire de l’entraînement. "Aujourd’hui, on court comme ça. Demain, on fera autrement." Voilà le mode d’emploi.
Alors, oui. Bien sûr. Les experts sont là pour te dire comment respirer, comment soulever, comment t’étirer, comment t’entraîner… Mais la vraie question, c’est : combien de fois on doit réapprendre le même truc avant de se rendre compte que, peut-être, on ne sait pas vraiment ?
Nos corps sont faits pour être ouverts, pour accueillir la diversité, pour s’adapter. Pas pour suivre une règle pré-écrite qu’un expert a décidé de nous imposer du haut de sa montagne de certitudes. La vraie transformation ne se cache pas dans des dogmes. Elle réside dans la capacité à s’ouvrir à ce qu’on ne connaît pas encore. S’exposer à l’inconnu, et accepter que le progrès ne vient pas en respectant une recette magique, mais en osant sortir du cadre et jouer avec les variables.
Rappelons-nous : tout comme le corps est une machine complexe, faite de milliards de bactéries, de cellules et de fascias, l’entraînement ne se résume pas à une série de "vérités" imposées. Pour vraiment progresser, il faut arrêter de croire. Parce qu’au fond, c’est là que la vraie liberté réside : dans l’ouverture, dans l’adaptation, dans l’imprévu.
B.R.